Friday 11 April 2014

Petit train va loin

Dû à son récent et sombre passé, le Cambodge nous semblait être une destination qui serait plus difficile tant au niveau émotif (les témoignages des survivants et les commémorations des Khmers Rouges) que logistique (nombreuses sont les infrastructures qui n'ont pas été reinstaurées). Bref, reconnue pour être plus "roots", cette destination nous mystifiait. On y connaissait mois sa culture et ses incontournables touristiques mis à part les fameux temples d'Angkor, les Killing Fields de Phnom Penh et la triste réputation du tourisme sexuel juvénile de Sihanoukville. Après un bref séjour dans la capitale, on se dirige vers Battambang. Rapidement, tant la population que la campagne cambodgienne nous séduisent. Après trois mois en Asie du Sud-Est, l'expérience des kilomètres parcourus nous a permis de développer un éventail de référents et d'éléments de comparaisons. Le Cambodge nous semble être un mélange entre le Laos et la Birmanie; la campagne laotienne et une population des plus accueillantes, bien qu'elle ait été victime d'un traumatisme qui soit comparable sinon pire à celui de la Birmanie (difficile de comparer les atrocités). Mais à mesure qu'on le visite, le parcourt et le découvre, les référents et les comparaisons s'estompent. On se rend compte que comme tous pays, le Cambodge est unique, riche et distinct. 

Mais il est difficile de faire ce voyage sans toujours avoir en tête les horreurs qui se sont déroulées sur ces terres, il y a de ça à peine trente ans. Les Khmers Rouges et leur infâme chef, Pol Pot, sont pour nous toujours bien présents, comme une trame de fonds et ce, même si on ressent rapidement qu'ils n'habitent plus les discussions du Cambodge d'aujourd'hui. Les Cambodgiens veulent passer à autre chose. Par choix. Par nécessité. Malgré tout, beaucoup de lieux de visites se rattachent au génocide insensé qui teinte le pays. Yvonne, notre amie irlandaise du Delta, nous a même dit qu'à un certain point, ils visitaient sans cesse des espaces qui étaient qualifiés de "killing". Killing caves, killing schools, killing fields, etc. Mais Battambang est un lieu qui démontre l'envers de la tragédie cambodgienne, c'est-à-dire la force et la débrouillardise devant l'adversité.

Battambang, une ville charmante où on aurait souhaité passer plus de temps, est le point de départ pour une excursion vers le "bamboo train". Lorsque les Khmers Rouges purgeaient leur pays nouvellement conquis de toutes ses influences occidentales, les locomotives françaises ont été vendues ou démantelées pour supporter l'effort de guerre contre les Vietnamiens. Quand le régime de Pol Pot est tombé, les Khmers (c'est le nom du peuple du Cambodge, à ne pas confondre avec le parti politique qui ajoutait le "rouge") se sont retrouvés avec un réseau de chemins de fer, mais aucun véhicule pour l'utiliser. Platon écrit que la nécessité est mère de l'invention, et dans le cas du Cambodge des années 80s, qui tentait de se remettre tant bien que mal d'une série de blessures, la nécessité de transporter des biens suivant des routes relativement sécurisées et déminées généra un véhicule unique au monde. Le train de bambou, ou le "norri," est une invention simple mais efficace, assemblée avec les moyens du bord. Sur des essieux de fer, qu'on a retirés des chenilles de tanks détruits, les Khmers ont construit des plateformes de bambou d'à peu près 3 mètres carrés. Grâce à une courroie et à un moteur de tondeuse, ils font avancer ces plateformes comme de petits trains sur les rails. À une certaine époque, le "bamboo train" faisait la distance entre Battambang et Phnom Penh, soit 250 kms! Faute de routes asphaltées, que Pol Pot avait également détruites, c'était le meilleur moyen de faire circuler des biens, particulièrement en saison sèche, lorsque les rivières ne sont plus navigables.

Avec l'effort de reconstruction, le Cambodge n'utilise plus officiellement les norris. Ils ont été transformés par les locaux en attraction touristique, qui est elle-même appelée à disparaître. Nous profitons donc du fait que nous puissions toujours l'essayer. À 6h du matin (nous devons prendre le seul autobus qui se rend à Siem Reap plus tard en matinée), nous sommes déjà assis sur notre plateforme, pendant que le conducteur tire sur la corde qui démarrera le moteur. Nous sommes les premiers passagers de "l'express bamboo". On s'éveille avec la campagne cambodgienne. Le rythme des rails agit comme trame sonore d'une scène émouvante. Les écoliers suivent le chemin de fer pour se rendre au prochain village, les fermiers commencent à labourer leurs champs avec leurs grandes vaches blanches et maigres, les petits dépanneurs improvisés reçoivent leurs premiers clients, qui boivent leurs cafés sur des chaise en plastique. À une vitesse qui varie entre 10 et 50 km/h, nous filons sur le norri vers un petit village. Une fois rendu, un vieux monsieur nous interpelle en français. Il nous apprend qu'il a vécu à Marseille.  Nous savons à quelle époque sans lui demander; ceux qui savaient parler plus d'une langue étaient exécutés par les Khmers rouges Plus loin dans le village, deux petits garçons essaient de nous vendre des bébelles. Benoît, un peu ému par la beauté de la campagne et la résilience des gens locaux, insiste auprès d'un garçon particulièrement brillant sur l'importance d'aller à l'école. Le même garçon semble beaucoup aimer Annick et insiste à son tour pour lui donner gratuitement une sauterelle de bambou qu'il a lui-même tressée pendant notre discussion. C'est le coeur serré qu'on repart sur notre petit wagon. Au retour, on est surpris de constater que puisqu'il n'y a qu'une seule voie, il faut soulever la plateforme et les essieux pour laisser passer les trains que l'on rencontre.

Battambang était beaucoup plus riche d'expériences que ce à quoi nous nous attendions. Cette ancienne "hill station" française était mignonne sans s'être trop développée. On y retrouve des petits magasins d'artisanat, des cafés bio et des restaurants charmants. Mais on y dort aussi dans la pire chambre d'hôtel de notre voyage (Annick s'est sentie comme dans Trainspotting). Sur une terrasse de resto, on passe une soirée-Skype avec la famille de Benoît pour célébrer un Noël en avance et à distance, mais on a un peu de difficulté à se concentrer étant donné les rats qui circulent à nos côtés. On bat le record des plus gros rats vus depuis le début du voyage, et par malchance, ils battent aussi le record de quantité. En rentrant, on évite les sacs de poubelles et les trottoirs en général, préférant marcher là où il y a peu de racoins...

Déjà après trois jours au Cambodge, on sent qu'on va adorer notre temps ici. Question d'en apprendre davantage sur les événements du passé, Annick se procure un livre dans une petite bouquinerie du coin. Là, tous les livres vendus sont photocopiés. On prend le bus local en direction Siem Reap, où l'une des "grandes merveilles du monde" nous attend!




















Dates de visite: 21 et 22 décembre 2013

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