Monday 14 April 2014

SELON ANNICK – Un spa réparateur

La situation des femmes en Asie du Sud-Est est un sujet qui m'habite depuis le début de notre aventure. Dans chacun des pays visités, j'ai eu la chance de pouvoir discuter avec des femmes d’horizons différents. Je peux maintenant dire que leurs préoccupations se recoupent grandement. En Birmanie, on m'a parlé de modernité, d'ouverture, d'écoute et d'espoir. Au Laos, on a discuté du droit à la contraception, de la famille éclatée, du plaisir et de l'importance d'entrevoir un avenir meilleur. Au Vietnam, du travail trop lourd pour les femmes, des familles maintenant trop petites, d’une certaine stagnation sociale. Pendant les premiers jours de notre séjour au Cambodge, c'est la voix d'une enfant, soit celle de Lunh Hu qui m'a parlé. Cette femme, aujourd'hui âgée de 44 ans, a écrit le récit de sa famille, qui a vécu les affres des Khmers Rouges, dans D’abord ils ont tué mon père. C'est la seule voix féminine cambodgienne que j'ai jusqu'à maintenant entendue.
Lorsque nous arrivons à Kampot, petite ville au bord d’un estuaire qui est reconnue pour ses plantations de poivre, je m’informe rapidement sur le centre de yoga situé à quelques minutes en mobylette de notre guesthouse. Désireuse de renouer avec mon tapis, je suis emballée à l'idée de participer à un atelier. Mais mon intérêt est d'autant plus grand lorsque l'on m’indique que ce centre est tenu PAR des femmes POUR les femmes. En d'autres termes, les hommes y sont interdits. C'est que ce centre de "bien-être" est aussi un centre de transition pour des femmes aux passés troubles. Le Banteay Srey Women’s Spa est en fait un organisme qui propose une plateforme de réinsertion sociale pour ses employées. On leur apprend à donner des massages, à cuisiner, à faire un pédicure, un facial, etc. pour qu'un jour, lorsqu'elles seront en maîtrise des différentes techniques apprises et surtout, lorsqu'elles se sentiront assez fortes, assez reconstruites, elles pourront alors plier baguage et aller travailler ailleurs dans le pays. Elles auront alors la chance de recommencer à neuf, outillées d’un métier qui leur sera propre, un métier dont elles seront fières et que personne ne pourra leur enlever.

À mon arrivée au centre, on m'apprend vite que l’atelier de yoga n’a pas lieu puisque la professeure, une expat, est en vacances. La douceur et la gentillesse des femmes qui m'accueillent sont si grandes que j'ai vivement envie de rester au centre et d’échanger avec elles. Le temps d'aviser Benoît que les plans ont changé (il m'attendait respectueusement sur le trottoir, à l'extérieur du terrain du centre pour que je lui confirme si l’atelier de yoga avait bien lieu), je retourne dans la bâtisse principale et m’inscris pour des traitements beauté. Au diable mon pédicure et ma manucure reçus à Noël dans un luxueux spa de Siem Reap… Là, c’est une cause sociale que je soutiens, non?! Benoît a donc une heure et demie devant lui pour explorer les terres du coin en mobylette.
L’employée qui me donne mes traitements n’a à peine que 16 ans. La barrière linguistique nous empêche d’échanger en paroles. Mes nos regards disent tout. L’écart d’âge non plus n’a pas d’importance. Elle, je la sens déposée, concentrée par les techniques apprises et amusée par la blancheur de mes pieds. Moi, je n’ai envie d’être là que pour contribuer (ok, d’une façon vraiment sommaire et un peu superficielle, mais tout de même). Nos fous rires font du bien. Le mur du silence n’existe pas. Peut-être suis-je naïve mais je NOUS sens bien.
Ceux qui me connaissent savent que parfois mon imagination est un peu vagabonde. Mais cette fois-ci, même si je peux facilement deviner les passés de ces femmes qui m’entourent, je n’ai nulle envie de leur inventer de faux ou de vrais scénarios. La volonté de tourner la page de ces femmes est si forte, leur désir de se rebâtir est si grand, que même l’imagination se dissimule et se retient par respect. Leur force et leur détermination sont à l’image de tout le pays. À l’image des familles, de Lung Hu et de tous ces villages qui se rebâtissent et qui acceptent, malgré les guerres intestines assez récentes, de se tourner vers l’avenir. Ils ne sont pas leur passé. Ils sont maintenant. Ils veulent devenir demain.
Le Cambodge est l’Eldorado de plusieurs types de voyageurs. Certains y viennent malheureusement pour le laxisme du tourisme sexuel. Les « off the beaten track » s’arrachent les dernières plages intactes. Des entrepreneurs étrangers prennent leur pied dans ce far west commercial. Aussi, un grand nombre de travailleurs humanitaires initient des coopératives ou des organismes pour aider le pays à se relever. Si le Laos présentait une panoplie d’activités éco-touristiques, le Cambodge, lui, propose un tourisme de responsabilité sociale tel que je n’en ai jamais connu auparavant. Loin de moi l’intention de juger si ce positionnement touristique est viable ou si les répercussions dans les communautés sont réelles et optimales. Je n’ai pas l’expertise pour prendre position et formuler une analyse juste et valable. J’ai plutôt envie de vous partager l’expérience indélébile que ce genre de tourisme permet. J’ai fortement envie de souligner ces initiatives sporadiques qui permettent aux femmes de se rencontrer, d’échanger et de se respecter, sans nécessairement tout comprendre. Ce type de rencontre est si for, si prenant, qu’il nous permet de saisir à quel point, parfois, la parole sert à si peu de choses.
À la fin de mon bref passage, deux des employées ricanent en regardant, au bout de l’allée qui mène à l’entrée du centre, un homme qui lit assis en équilibre sur sa mobylette. Cet homme là, c'est le mien. Je le vois m'attendre paisiblement, respectueusement et je me sens si choyée. Je ne sais pas ce que les « Hommes » ont pu faire subir aux femmes qui m’entourent et qui sont le souffle de ce centre. Mais je réalise encore plus que jamais ce que "Mon homme" me donne chaque jour, aussi généreusement, aussi affectueusement. C’est donc la tête vide, le cœur remplit de respect et les ongles arrondis et roses que je vais le rejoindre.








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